Intellectuellement, nous le savions depuis longtemps. L’année 2020 nous a permis de l’éprouver collectivement : le monde d’aujourd’hui est bien VUCA (Volatile Uncertain Complex Ambiguous). Nous devons faire avec ! Alors comment minimiser le risque d’erreur dans nos prises de décision, alors qu’il n’existe pas d’experts sur les questions nouvelles et que les données issues du passé ne sont d’aucune aide, car obsolètes ?
Quels stocks pour nos magasins ? Combien de mètre carré pour nos futurs bureaux ? Allons-nous faire un séminaire d’équipe au vert à l’automne ? Devons-nous investir ou diminuer les coûts ?
Personne ne sait. Le plus risqué reste cependant de ne pas décider et donc de bloquer « le mouvement des organisations et d’abîmer le moral des équipes qui a besoin de se projeter ?
Mais comment faire ?
Les mathématiques à notre secours
Professeur de complex systems à l’université du Michigan, Scott Page travaille sur le sujet de la prédiction dans un système complexe. Il démontre que pour minimiser le risque d’erreur il est nécessaire soit de minimiser l’erreur individuelle (donc avoir un bon expert) soit d’augmenter la diversité du groupe.
L’une des recherches qu’il mentionne dans son livre The diversity bonus est une étude où il a examiné 28 000 prédictions d’économistes sur une période de 40 ans. Le meilleur économiste est 10 % meilleur qu’un économiste pris au hasard. En faisant la moyenne du meilleur économiste avec le deuxième meilleur économiste, qui est 9% meilleur, vous obtenez 18% de mieux. Faire appel à quelqu’un qui est manifestement moins bon, vous rend meilleur du fait qu’il est différent.
Olivier Sibony, professeur à HEC, dans son livre. intitulé Vous allez commettre une terrible erreur prend ce même sujet sous l’angle des biais cognitifs. Il nous montre que nous sommes tous influencés par nos propres biais cognitifs, et ce de façon souvent inconsciente. Cela nous conduit à avoir une vision fausse de la réalité et donc à prendre une mauvaise décision. Selon lui, l’enjeu pour prendre la meilleure décision possible est de pouvoir annuler nos biais cognitifs. Un moyen serait d’inclure la diversité de chacun pour compenser nos erreurs de perceptions.
L’exemple le plus ancien et probablement le plus parlant reste l’exemple du statisticien Francis Galton qui date de 1906, relaté par James Surowiecki dans son livre ‘La Sagesse des foules’. Il se rend à un marché à bétail anglais où a lieu un concours. Il s’agit de deviner le poids d’un bœuf. Le concours récolte 787 paris. Les estimations vont de 408 kg à 680 kg. Or, quand Galton calcule la médiane de toutes ses prédictions, il arrive à 542 kg, soit très proche du poids réél de 543 kg.
Pour décider quand nous ne savons pas, la meilleure façon est donc de recueillir les points de vue multiples, puis de les agréger.
La réponse : mobiliser l’intelligence collective
Dans le cas d’un problème chiffrable, comme la prédiction du poids d’un bœuf, nous pouvons recueillir la perception subjective de chacun en demandant aux participants de parier, puis nous pouvons agréger les points de vue, c’est à dire annuler les biais, en calculant la médiane.
Mais comment faire dans le cas d’une problématique non chiffrable ? Comment recueillir les points de vue subjectifs de chacun ? Comment calculer la médiane d’une idée ?
Tous les processus d’intelligence collective, basés sur la divergence, émergence et convergence permettent de faire vivre cette équation….
La Divergence, ou la récolte des points de vue
Chacun est invité à se connecter à son propre biais cognitif puis à exprimer sa perception subjective, SA réponse et non LA réponse. Nous ne cherchons pas à connaitre qui a la meilleure réponse dans le groupe mais nous cherchons à ce que chacun soit complètement lui-même, jusqu’au bout de ses imperfections.
Ce moment de divergence n’a d’intérêt que si les personnes réunies sont à la fois concernées par la problématique, c’est-à-dire qu’elles ont un point de vue sur le sujet, et que ces points de vue sont différents. Si tout le monde a le même biais cognitif, si le groupe est monolithique, issu de la même histoire de vie, les perceptions subjectives seront très similaires. Les biais cognitifs vont ensuite s’additionner au lieu de s’annuler.
Ce moment de divergence est absolument critique. Sans l’indépendance de pensée, sans la possibilité d’exprimer des points de vue différents, la foule devient stupide. Seule l’expression de la subjectivité de chacun rend la foule intelligente. Toutes les dictatures que nous avons observées à travers l’histoire ont en commun la pensée unique, avec l’obligation pour la foule de penser comme un seul homme. Leur danger n’est plus à démontrer.
Emergence puis convergence , ou l’agrégation des points de vue
Cette phase consiste à calculer la médiane d’une idée non chiffrable ! Comment traduire les mathématiques en humanités ?
La traduction de la médiane se nomme l’écoute générative. Cette phase consiste à ce que chacun écoute les autres dans l’intention de se laisser transformer par leurs points de vue différents.
Ce moment est délicat. Les points de vue opposés ne doivent pas s’affronter mais se mêler, se féconder pour créer du nouveau, contrairement à un débat politique, où chacun cherche à prouver qu’il a raison. Dans la complexité, nous cherchons à écouter pleinement l’autre tout en exprimant pleinement notre point de vue. Nous ne sommes ni au-dessus ni en-dessous, nous avons besoin d’être en parité.
La pratique du cercle et toutes ses variantes sont adaptées. Cet exercice est exigeant.
La convergence, ou l’arrivée de la stabilisation
La « magie » finit par arriver. La conversation finit par se stabiliser, à un endroit qui correspond à la médiane ! Un mécanisme humain s’est produit, qui est l’intégration des idées par les ressources créatives. Ce moment se ressent souvent de façon kinesthésique et émotionnelle , les tensions sont levées, le système est stabilisé.
Pour décider dans un environnement complexe nous devons laisser s’exprimer les diversités de perceptions puis permettre à chacun de se laisser transformer par les points de vue des autres.
Inclure la diversité est le seul moyen de créer de la valeur dans notre monde actuel. Ce n’est ni de la morale ni de l’idéologie normative, ce sont des mathématiques !
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Je contribue à générer un futur du travail désirable pour les collaborateurs, les organisations et la société. J’inclus la diversité et je relie des polarités qui sont trop souvent séparées : science et humanité, liberté et contraintes, profit et éthique, local et global, préservation et créativité, numérique et humain.
Chloé Grabli
Associée
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